Auteur:
Pierre-Alain Giffard
Le
développement quasi exponentiel d’églises locales comme celles de Rick Warren,
de Bill Hybels ou de David Yonggi Cho pose question : qu’est-ce qui a permis
une telle croissance ? Pour répondre à cette question, il est important de se
référer à un auteur très connu dans les milieux évangéliques : Donald McGavran.
Né de parents missionnaires en Inde, il fit des études de théologie aux
États-Unis avant de retourner en Inde en 1923. Il y alla pour travailler comme
missionnaire avec l’United Missionary Society et fut tracassé par la lente
croissance des églises. Pendant dix-sept ans, il chercha à comprendre pourquoi
certaines églises croissent numériquement alors que d’autres connaissent la
décroissance. Il observa cent quarante-cinq missions et publia en 1955, les
résultats de ses recherches dans un livre intitulé The Bridges of God.
McGavran
est presque unanimement considéré, dans le milieu protestant évangélique, comme
le fondateur du Mouvement pour la croissance des églises. Ce mouvement,
comme son nom le suggère, s’intéresse aux facteurs qui favorisent la croissance
des communautés chrétiennes. Il est composé d’un ensemble de praticiens et de
théologiens qui étudient les éléments qui favorisent le développement numérique
des églises. En 1960, McGavran fonda l’Institut pour la croissance des églises[1]
qui déménagea ensuite au Fuller Theological Seminary (Californie) en
1965. Doyen de la Fuller School of World Mission[2], il
écrit en 1970 Understanding Church Growth, livre essentiel pour
comprendre sa pensée. Ce dernier permit au Mouvement pour la croissance des
églises d’être mieux connu en Amérique du Nord et aboutit à la fondation de
deux autres instituts : l’Institute of American Church Growth fondé par
Win Arn en 1973 et The Church Growth Center fondé par Kent R. Hunter
en 1977.
Le livre
de McGavran, Understanding Church Growth, présente une approche de la
mission chrétienne qui serait, d’après l’auteur, indispensable pour faire
croître les communautés chrétiennes. McGavran y définit la croissance de
l’église comme la multiplication des baptisés[3].
Les raisons de la croissance des églises, dit-il, varient d’une communauté à
une autre, mais elles proviennent d’une combinaison de différents facteurs que
l’on peut identifier. Il n’y a pas une raison unique pour la croissance[4]; elle est le résultat de bien des facteurs qui
peuvent se combiner et se recombiner de multiples façons[5].
Ces facteurs ou ces principes sont universels et peuvent s’appliquer dans
n’importe quel continent ou culture[6]. Là où il y a croissance, quels que
soient la dénomination et le lieu de l’église, il est possible de découvrir les
principes qui la favorisent. On peut donc apprendre des autres églises en
croissance, même si elles sont de dénominations différentes[7].
1.
La croissance des églises est la volonté de Dieu
D'après
McGavran, la croissance des églises est agréable à Dieu car elle signifie la
multiplication des personnes réconciliées avec lui. Dieu veut la croissance de
son Église et que les communautés chrétiennes se multiplient. Les chrétiens
devraient donc tout faire pour que les brebis perdues « entrent au bercail »
et soient nourries[1]. La croissance de l'église sera la conséquence d'une
telle conviction théologique. Elle découle de la fidélité des chrétiens à
proclamer la Parole et à trouver les brebis perdues, c'est-à-dire à réconcilier
les hommes et les femmes avec Dieu par le Christ. C'est la volonté même de Dieu
que les hommes et les femmes soient trouvés et que les multitudes soient réconciliées avec Lui dans l'Église. Sans
fidélité à poursuivre cette mission, il n'y a pas de croissance.
2.
Jésus est le seul sauveur
Pour
favoriser la croissance des églises, les chrétiens doivent dissiper une
certaine brume causée par le flou sotériologique. Le manque d'assurance quant
aux moyens de salut est paralysant pour la mission. Pour éviter
une telle paralysie, les croyances doivent être claires : le Christ est la
révélation complète et finale de Dieu à l'humanité. Malgré les nombreuses
richesses des autres religions, il n'y a pas d'autres chemins pour aller à Dieu.
Jésus étant l'unique voie de salut, persuader les hommes et les femmes de le
recevoir comme Sauveur et de le suivre n'est pas du prosélytisme, mais un
devoir. McGavran s'appuie sur les versets bibliques : Il n'y a pas sous le ciel d'autre nom donné aux hommes, par lequel nous
devions être sauvés (Ac 4:12). Jésus est le Chemin, la Vérité et la Vie. Nul ne vient au Père
que par lui (Cf. Jn 14:6). Dieu, comme dans la parabole de la brebis perdue, se
donne comme priorité d'aller à la recherche de ceux et celles qui sont loin de
Lui (Lc 15:3-7; Mat 9:12).
3.
Une question de priorités
Pour
qu'il y ait croissance, les églises doivent avoir des responsables convaincus
qu'accepter le salut offert en Jésus est la chose la plus importante qu'une
personne puisse faire dans sa vie. Ainsi, les tâches de l'église ne sont pas à
regarder avec la même importance, des priorités devraient être fixées. Les
responsables d'églises devraient donner la priorité aux actions permettant la
multiplication des personnes sauvées, baptisées et incorporées à la communauté
chrétienne. Le service social et le dialogue avec les autres religions sont des
activités importantes, mais elles ne devraient pas remplacer l'action pour
retrouver les brebis perdues. L'auteur justifie sa vision en disant que plus
les chrétiens seront nombreux, plus il en découlera des améliorations sociales.
Moins il y aura de chrétiens, moins l'amélioration des conditions sociales sera
possible.
Le salut
accordé à ceux qui croient en Jésus-Christ est le bien suprême des êtres
humains et tous les autres biens découlent de cette réconciliation première.
Même la qualité du témoignage personnel ne peut être un but prioritaire, car il
ne peut y avoir de réelle qualité de vie chrétienne aux yeux de Dieu, explique
l'auteur, si l'on ne se préoccupe pas de la multiplication des personnes
réconciliées avec lui. Le salut des âmes est la mission première de l'Église.
4.
Le but de la mission : trouver les brebis
perdues
L'auteur
insiste pour dire que le but de la mission n'est pas seulement de chercher,
mais aussi de trouver. Dieu veut que les brebis perdues, c'est-à-dire tous les
êtres humains qui ne sont pas réconciliés avec Lui par le Christ, soient
trouvées. Être trouvé, c'est être baptisé et intégré à une communauté
chrétienne. C'est ainsi que la mission devrait être évaluée. Les résultats
visibles sont donc importants. D'après McGavran la mission chrétienne peut être
définie comme suit : Une entreprise
consacrée à proclamer la
Bonne Nouvelle de Jésus-Christ et à convaincre les hommes à
devenir ses disciples et des membres responsables de son église[2]. Il faut être attentif aux résultats et évaluer ses
méthodes d'évangélisation afin de s'assurer qu'elles engendrent de nouveaux
chrétiens impliqués dans l'église.
5.
Être efficace et se fixer des objectifs de
croissance
Pour
atteindre le but principal de l'Église qui est de trouver les hommes et les femmes perdus en les réconciliant avec
Dieu pour qu'ils soient sauvés, la communauté chrétienne doit se fixer comme
priorité de concevoir des actions efficaces permettant d'amener les hommes et
les femmes à faire une profession de foi envers le Christ sauveur et à
s'engager comme membres responsables de l'église. Pour être efficaces, les
pasteurs ne devraient pas hésiter à se donner des objectifs mesurables en se
fixant, dans la foi, le nombre de convertis qu'ils souhaitent « gagner » au
Christ dans une période de temps donnée. Ils s'aideront grandement en se
servant de courbes de croissance et en utilisant les sciences de la gestion[3] pour atteindre leur fin. Il ne faut pas hésiter à
compter les membres de l'église, à se fixer des objectifs pour en accroître le
nombre et à allouer les ressources financières nécessaires à cette fin.
6.
Planifier l'implantation d'églises locales
McGavran
soutient que la croissance des églises aurait rarement lieu sans planification.
Au début de l'Église, Paul et Barnabas, se sont jetés à corps perdu dans un
programme audacieux pour implanter des églises. Aujourd'hui pourtant, certains
responsables chrétiens rejettent l'idée de planifier l'implantation de
nouvelles églises. Ils cherchent seulement à créer une société plus juste
composée de personnes de bonne volonté. Mais, selon l'auteur, pour permettre la
croissance, il est nécessaire de planifier l'implantation de nouvelles
communautés et une bonne connaissance du milieu est importante car elle permet
de mieux communiquer la Bonne Nouvelle.
7.
Favoriser le renouveau spirituel de la
communauté
D'après
McGavran, le renouveau, appelé revival
dans les milieux protestants américains, est une source importante de
croissance. Le renouveau peut se décrire comme un mouvement de l'Esprit qui
infuse une vie nouvelle à la communauté chrétienne. Il peut se manifester et se
répandre tant dans le cœur d'un seul croyant, d'une assemblée et d'une ville
que dans un continent et dans le monde entier. Bien que ses manifestations
extérieures chez une personne puissent être de l'ordre de tremblements, de
pleurs, de prières émotives et de sentiments de joie et de paix, le phénomène n’est
pas une affaire superficielle; il aboutit à une vie plus sainte et une
croissance de la vie spirituelle. Il est accordé par Dieu à ceux qui,
conscients de leur impuissance, prient intensément pour le recevoir. Il est en
général précédé de plusieurs années de lecture attentive de la Bible. La confession des
péchés et la réparation en sont parfois les éléments déclencheurs, parfois le
résultat.
Le
renouveau amène aussi ceux qui le reçoivent, à faire du salut de leurs frères
et sœurs un but essentiel de leur vie. Un souci
divin les anime, ils désirent intensément voir leurs proches goûter la
puissance rédemptrice de l'Évangile. L'énergie et la ferveur, résultant de
cette effusion de l'Esprit, permettent à ceux et celles qui le reçoivent de
témoigner efficacement du Christ. Il en résulte la multiplication des convertis
et la croissance de l'église.
8.
Impliquer et former les membres de la
communauté chrétienne
Pour
croître, il faut s'organiser pour impliquer le plus possible de membres dans la
mission d'évangéliser. La mission de proclamer le Christ, de persuader les
êtres humains à être ses disciples pour qu'ils deviennent des membres
responsables de son église, est confiée à tous les chrétiens. Il est du devoir
de tous de témoigner de leur foi. Les chrétiens ne peuvent être remplacés dans
leur rôle d'amener d'autres personnes dans une relation personnelle avec
Jésus-Christ. Les pasteurs aideront les laïcs à réaliser cette mission en leur
donnant une formation. Ils inviteront les membres de la communauté chrétienne à
faire des dons généreux et des prières ferventes pour la cause.
9.
Témoigner auprès des personnes réceptives
La
croissance de la communauté chrétienne est favorisée lorsque les chrétiens
témoignent de leur foi auprès des personnes réceptives. Si un groupe refuse, alors un autre doit être persuadé[4], dit McGavran. Les chrétiens devraient aller en
priorité là où l'humanité répond à l'appel à la conversion. La
réceptivité des personnes et des sociétés varie et celle-ci peut changer de
manière surprenante avec le temps. C'est Dieu qui donne, à un moment donné, de
bonnes dispositions pour être réceptif à l'Évangile et accueillir le salut.
McGavran conseille de commencer à prier pour repérer les personnes réceptives
d'un milieu et de créer des pastorales pour les rejoindre en répondant à leurs
besoins.
Les
personnes réceptives sont par exemple celles qui viennent par curiosité à un
culte ou qui vivent une période de transition. Ce sont aussi les personnes
constituant l'entourage direct des membres de la communauté chrétienne. Il est
démontré que la majorité des personnes qui viennent ou reviennent à l'église,
l'ont fait après avoir été invitées par un ami ou un proche.
10. Tenir
compte de la culture
McGavran
a découvert que les hommes et les femmes
préfèrent devenir chrétiens sans traverser des barrières de race, de langue ou
de classe[5]. Ils aiment faire partie d'une église dont les
membres leur ressemblent, dont les membres parlent et agissent comme eux. C'est ce qu'il appelle le principe d'homogénéité. Les « planteurs
d'églises » utilisent des méthodes permettant aux hommes et aux femmes de
devenir chrétiens sans avoir l'impression de traverser des barrières
culturelles seraient plus efficaces que les autres; leurs églises sont « bénies
de croissance ».
À la
lumière de ce principe d'homogénéité, l'auteur invite les pasteurs à inculturer
les célébrations (cultes) et à encourager les chrétiens à témoigner auprès des
personnes appartenant à leur groupe socioculturel. Le monde étant composé d'une
mosaïque de différents groupes socioculturels homogènes; la multiplication des
cellules chrétiennes sera favorisée par le témoignage des chrétiens dans toutes
ces parties qui constituent l'humanité. Chaque culture comporte des
sous-cultures qui sont parfois simplement d'ordre social. Par exemple dans une
société, il peut y avoir la sous-culture des jeunes. Les jeunes ont un style de
vie différent de celui de leurs parents. Ils préfèrent un autre style de
musique que celui de la génération précédente. Une célébration destinée aux
jeunes sera plus intéressante pour eux si on adopte un style de musique qui
leur convient.
11. Synthèse
des différents principes
McGavran
a essayé de faire une synthèse des principaux facteurs qui seraient source de
croissance pour les églises locales. Les voici :
1. Des clercs ou
laïcs ont commencé par consacrer leur vie à implanter des églises.
2. Les
dirigeants des églises ne se sont pas laissés envahir par des tâches
administratives de maintenance ou par un travail qui ne serait ni productif en
termes de développement, ni directement reliés à l'implantation des églises.
Ils ont su donner la priorité à l’annonce de l’Évangile auprès des personnes
qui ne connaissent pas le Christ ou qui ne font pas partie d’une communauté
chrétienne.
3. Des mois de
prières d'intercession avaient précédé l'action; prières pour que les églises
se multiplient et que des hommes et des femmes soient « gagnés » au Christ.
4. Une structure
de petits groupes de maison a été mise sur pied. Celle-ci aide la communauté
chrétienne à grandir et évite de construire des bâtisses coûteuses.
5. Tous les
chrétiens étaient invités à transmettre leur foi en témoignant auprès de leurs
proches particulièrement leurs amis et les membres de leur famille. Chaque
membre de la communauté chrétienne a choisi des individus qui lui semblaient
réceptifs, « gagnables » au Christ. Ils ont prié pour eux d'une manière
spéciale tout en leur parlant de la Bonne Nouvelle. Cette
évangélisation est appelée en anglais befriending[6]. L'Évangile était proclamé à des personnes réceptives
au message de la Bonne
Nouvelle et issues du même tissu social. On a aussi fait des
efforts pour jeter des ponts et créer de nouveaux liens sans se limiter au
réseau des personnes les plus proches.
6. Un effort
important a été fait pour créer et multiplier des églises adaptées à la
population que l'on cherche à rejoindre, c'est-à-dire le plus culturellement
proches possible des personnes par la langue, la race, les habitudes de vie,
etc. Les célébrations et les services offerts ont été bâtis pour rejoindre
leurs besoins et correspondre à leurs aspirations.
7. Ce sont les
personnes converties issues du tissu social local qui ont été choisies comme
responsables dans la communauté chrétienne.
12. Conclusion
: Travailler pour implanter des églises
Pour
McGavran, le but premier de la mission chrétienne est de réconcilier l'humanité
avec Dieu par le Christ. Dieu demande à son Église de faire des disciples.
Obéir à ce commandement est le but suprême de l'Église. McGavran, estime donc
que les chrétiens devraient avoir comme priorité de travailler pour la
croissance de la communauté chrétienne locale et ne pas avoir peur de se fixer
des objectifs numériques. D'après lui les efforts pour annoncer l’Évangile aux
non-chrétiens seront plus efficaces s’ils sont précédés et accompagnés de
prières et s’ils sont faits auprès des sociétés et des groupes qui se montrent
réceptifs à l’Évangile.
La
pensée de McGavran, sa conception des priorités dans la mission, son
pragmatisme, l'importance qu'elle donne aux objectifs numériques, son «
principe d'homogénéité », son insistance sur l'implication active des chrétiens
dans la communauté chrétienne ont été la source d'une révolution majeure dans
certains milieux protestants américains.
[1] Une
brebis est nourrie lorsque qu’un suivi à l’évangélisation initiale (ou
première) est assuré.
[2] D. McGavran , Understanding Church
Growth, Revised edition by C. Peter Wagner, Grand Rapids, Wm. B. Eerdmans
Publishing Co., 1980, p. 26 (notre traduction).
[3]Le terme gestion, n'est pas à confondre avec
l'économie d'entreprise. Il désigne une science de l'action collective chargée
de réaliser la mission d'une organisation.
[6] Cette approche d’évangélisation invite les chrétiens
d’une communauté donnée à jeter des ponts avec les personnes qu’ils fréquentent
habituellement. On les encourage à créer des liens avec des personnes non
chrétiennes ou non célébrantes. À travers ces liens d’amitié et de service, des
occasions se présentent pour échanger de manière naturelle sur des questions
concernant la foi, l’Église et le personnage de Jésus. Cf. D. McGAVRAN , op. cit.,
p. 398.
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