dimanche 31 mai 2009

La croissance des églises selon Donald McGavran

Auteur: Pierre-Alain Giffard

Le développement quasi exponentiel d’églises locales comme celles de Rick Warren, de Bill Hybels ou de David Yonggi Cho pose question : qu’est-ce qui a permis une telle croissance ? Pour répondre à cette question, il est important de se référer à un auteur très connu dans les milieux évangéliques : Donald McGavran. Né de parents missionnaires en Inde, il fit des études de théologie aux États-Unis avant de retourner en Inde en 1923. Il y alla pour travailler comme missionnaire avec l’United Missionary Society et fut tracassé par la lente croissance des églises. Pendant dix-sept ans, il chercha à comprendre pourquoi certaines églises croissent numériquement alors que d’autres connaissent la décroissance. Il observa cent quarante-cinq missions et publia en 1955, les résultats de ses recherches dans un livre intitulé The Bridges of God.

McGavran est presque unanimement considéré, dans le milieu protestant évangélique, comme le fondateur du Mouvement pour la croissance des églises. Ce mouvement, comme son nom le suggère, s’intéresse aux facteurs qui favorisent la croissance des communautés chrétiennes. Il est composé d’un ensemble de praticiens et de théologiens qui étudient les éléments qui favorisent le développement numérique des églises. En 1960, McGavran fonda l’Institut pour la croissance des églises[1] qui déménagea ensuite au Fuller Theological Seminary (Californie) en 1965. Doyen de la Fuller School of World Mission[2], il écrit en 1970 Understanding Church Growth, livre essentiel pour comprendre sa pensée. Ce dernier permit au Mouvement pour la croissance des églises d’être mieux connu en Amérique du Nord et aboutit à la fondation de deux autres instituts : l’Institute of American Church Growth fondé par Win Arn en 1973 et The Church Growth Center fondé par Kent R. Hunter en 1977.

Le livre de McGavran, Understanding Church Growth, présente une approche de la mission chrétienne qui serait, d’après l’auteur, indispensable pour faire croître les communautés chrétiennes. McGavran y définit la croissance de l’église comme la multiplication des baptisés[3]. Les raisons de la croissance des églises, dit-il, varient d’une communauté à une autre, mais elles proviennent d’une combinaison de différents facteurs que l’on peut identifier. Il n’y a pas une raison unique pour la croissance[4]; elle est le résultat de bien des facteurs qui peuvent se combiner et se recombiner de multiples façons[5]. Ces facteurs ou ces principes sont universels et peuvent s’appliquer dans n’importe quel continent ou culture[6]. Là où il y a croissance, quels que soient la dénomination et le lieu de l’église, il est possible de découvrir les principes qui la favorisent. On peut donc apprendre des autres églises en croissance, même si elles sont de dénominations différentes[7].

1.    La croissance des églises est la volonté de Dieu

D'après McGavran, la croissance des églises est agréable à Dieu car elle signifie la multiplication des personnes réconciliées avec lui. Dieu veut la croissance de son Église et que les communautés chrétiennes se multiplient. Les chrétiens devraient donc tout faire pour que les brebis perdues « entrent au bercail » et soient nourries[1]. La croissance de l'église sera la conséquence d'une telle conviction théologique. Elle découle de la fidélité des chrétiens à proclamer la Parole et à trouver les brebis perdues, c'est-à-dire à réconcilier les hommes et les femmes avec Dieu par le Christ. C'est la volonté même de Dieu que les hommes et les femmes soient trouvés et que les multitudes soient réconciliées avec Lui dans l'Église. Sans fidélité à poursuivre cette mission, il n'y a pas de croissance.

2.    Jésus est le seul sauveur

Pour favoriser la croissance des églises, les chrétiens doivent dissiper une certaine brume causée par le flou sotériologique. Le manque d'assurance quant aux moyens de salut est paralysant pour la mission. Pour éviter une telle paralysie, les croyances doivent être claires : le Christ est la révélation complète et finale de Dieu à l'humanité. Malgré les nombreuses richesses des autres religions, il n'y a pas d'autres chemins pour aller à Dieu. Jésus étant l'unique voie de salut, persuader les hommes et les femmes de le recevoir comme Sauveur et de le suivre n'est pas du prosélytisme, mais un devoir. McGavran s'appuie sur les versets bibliques : Il n'y a pas sous le ciel d'autre nom donné aux hommes, par lequel nous devions être sauvés (Ac 4:12). Jésus est le Chemin, la Vérité et la Vie. Nul ne vient au Père que par lui (Cf. Jn 14:6). Dieu, comme dans la parabole de la brebis perdue, se donne comme priorité d'aller à la recherche de ceux et celles qui sont loin de Lui (Lc 15:3-7; Mat 9:12).

3.    Une question de priorités

Pour qu'il y ait croissance, les églises doivent avoir des responsables convaincus qu'accepter le salut offert en Jésus est la chose la plus importante qu'une personne puisse faire dans sa vie. Ainsi, les tâches de l'église ne sont pas à regarder avec la même importance, des priorités devraient être fixées. Les responsables d'églises devraient donner la priorité aux actions permettant la multiplication des personnes sauvées, baptisées et incorporées à la communauté chrétienne. Le service social et le dialogue avec les autres religions sont des activités importantes, mais elles ne devraient pas remplacer l'action pour retrouver les brebis perdues. L'auteur justifie sa vision en disant que plus les chrétiens seront nombreux, plus il en découlera des améliorations sociales. Moins il y aura de chrétiens, moins l'amélioration des conditions sociales sera possible.

Le salut accordé à ceux qui croient en Jésus-Christ est le bien suprême des êtres humains et tous les autres biens découlent de cette réconciliation première. Même la qualité du témoignage personnel ne peut être un but prioritaire, car il ne peut y avoir de réelle qualité de vie chrétienne aux yeux de Dieu, explique l'auteur, si l'on ne se préoccupe pas de la multiplication des personnes réconciliées avec lui. Le salut des âmes est la mission première de l'Église.

4.    Le but de la mission : trouver les brebis perdues

L'auteur insiste pour dire que le but de la mission n'est pas seulement de chercher, mais aussi de trouver. Dieu veut que les brebis perdues, c'est-à-dire tous les êtres humains qui ne sont pas réconciliés avec Lui par le Christ, soient trouvées. Être trouvé, c'est être baptisé et intégré à une communauté chrétienne. C'est ainsi que la mission devrait être évaluée. Les résultats visibles sont donc importants. D'après McGavran la mission chrétienne peut être définie comme suit : Une entreprise consacrée à proclamer la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ et à convaincre les hommes à devenir ses disciples et des membres responsables de son église[2]. Il faut être attentif aux résultats et évaluer ses méthodes d'évangélisation afin de s'assurer qu'elles engendrent de nouveaux chrétiens impliqués dans l'église.

5.    Être efficace et se fixer des objectifs de croissance

Pour atteindre le but principal de l'Église qui est de trouver les hommes et les femmes perdus en les réconciliant avec Dieu pour qu'ils soient sauvés, la communauté chrétienne doit se fixer comme priorité de concevoir des actions efficaces permettant d'amener les hommes et les femmes à faire une profession de foi envers le Christ sauveur et à s'engager comme membres responsables de l'église. Pour être efficaces, les pasteurs ne devraient pas hésiter à se donner des objectifs mesurables en se fixant, dans la foi, le nombre de convertis qu'ils souhaitent « gagner » au Christ dans une période de temps donnée. Ils s'aideront grandement en se servant de courbes de croissance et en utilisant les sciences de la gestion[3] pour atteindre leur fin. Il ne faut pas hésiter à compter les membres de l'église, à se fixer des objectifs pour en accroître le nombre et à allouer les ressources financières nécessaires à cette fin.

6.    Planifier l'implantation d'églises locales

           McGavran soutient que la croissance des églises aurait rarement lieu sans planification. Au début de l'Église, Paul et Barnabas, se sont jetés à corps perdu dans un programme audacieux pour implanter des églises. Aujourd'hui pourtant, certains responsables chrétiens rejettent l'idée de planifier l'implantation de nouvelles églises. Ils cherchent seulement à créer une société plus juste composée de personnes de bonne volonté. Mais, selon l'auteur, pour permettre la croissance, il est nécessaire de planifier l'implantation de nouvelles communautés et une bonne connaissance du milieu est importante car elle permet de mieux communiquer la Bonne Nouvelle.

7.    Favoriser le renouveau spirituel de la communauté

D'après McGavran, le renouveau, appelé revival dans les milieux protestants américains, est une source importante de croissance. Le renouveau peut se décrire comme un mouvement de l'Esprit qui infuse une vie nouvelle à la communauté chrétienne. Il peut se manifester et se répandre tant dans le cœur d'un seul croyant, d'une assemblée et d'une ville que dans un continent et dans le monde entier. Bien que ses manifestations extérieures chez une personne puissent être de l'ordre de tremblements, de pleurs, de prières émotives et de sentiments de joie et de paix, le phénomène n’est pas une affaire superficielle; il aboutit à une vie plus sainte et une croissance de la vie spirituelle. Il est accordé par Dieu à ceux qui, conscients de leur impuissance, prient intensément pour le recevoir. Il est en général précédé de plusieurs années de lecture attentive de la Bible. La confession des péchés et la réparation en sont parfois les éléments déclencheurs, parfois le résultat.

           Le renouveau amène aussi ceux qui le reçoivent, à faire du salut de leurs frères et sœurs un but essentiel de leur vie. Un souci divin les anime, ils désirent intensément voir leurs proches goûter la puissance rédemptrice de l'Évangile. L'énergie et la ferveur, résultant de cette effusion de l'Esprit, permettent à ceux et celles qui le reçoivent de témoigner efficacement du Christ. Il en résulte la multiplication des convertis et la croissance de l'église.

8.    Impliquer et former les membres de la communauté chrétienne

           Pour croître, il faut s'organiser pour impliquer le plus possible de membres dans la mission d'évangéliser. La mission de proclamer le Christ, de persuader les êtres humains à être ses disciples pour qu'ils deviennent des membres responsables de son église, est confiée à tous les chrétiens. Il est du devoir de tous de témoigner de leur foi. Les chrétiens ne peuvent être remplacés dans leur rôle d'amener d'autres personnes dans une relation personnelle avec Jésus-Christ. Les pasteurs aideront les laïcs à réaliser cette mission en leur donnant une formation. Ils inviteront les membres de la communauté chrétienne à faire des dons généreux et des prières ferventes pour la cause.

9.    Témoigner auprès des personnes réceptives

La croissance de la communauté chrétienne est favorisée lorsque les chrétiens témoignent de leur foi auprès des personnes réceptives. Si un groupe refuse, alors un autre doit être persuadé[4], dit McGavran. Les chrétiens devraient aller en priorité là où l'humanité répond à l'appel à la conversion. La réceptivité des personnes et des sociétés varie et celle-ci peut changer de manière surprenante avec le temps. C'est Dieu qui donne, à un moment donné, de bonnes dispositions pour être réceptif à l'Évangile et accueillir le salut. McGavran conseille de commencer à prier pour repérer les personnes réceptives d'un milieu et de créer des pastorales pour les rejoindre en répondant à leurs besoins.

Les personnes réceptives sont par exemple celles qui viennent par curiosité à un culte ou qui vivent une période de transition. Ce sont aussi les personnes constituant l'entourage direct des membres de la communauté chrétienne. Il est démontré que la majorité des personnes qui viennent ou reviennent à l'église, l'ont fait après avoir été invitées par un ami ou un proche.

10. Tenir compte de la culture

McGavran a découvert que les hommes et les femmes préfèrent devenir chrétiens sans traverser des barrières de race, de langue ou de classe[5]. Ils aiment faire partie d'une église dont les membres leur ressemblent, dont les membres parlent et agissent comme eux.  C'est ce qu'il appelle le principe d'homogénéité. Les « planteurs d'églises » utilisent des méthodes permettant aux hommes et aux femmes de devenir chrétiens sans avoir l'impression de traverser des barrières culturelles seraient plus efficaces que les autres; leurs églises sont « bénies de croissance ».

À la lumière de ce principe d'homogénéité, l'auteur invite les pasteurs à inculturer les célébrations (cultes) et à encourager les chrétiens à témoigner auprès des personnes appartenant à leur groupe socioculturel. Le monde étant composé d'une mosaïque de différents groupes socioculturels homogènes; la multiplication des cellules chrétiennes sera favorisée par le témoignage des chrétiens dans toutes ces parties qui constituent l'humanité. Chaque culture comporte des sous-cultures qui sont parfois simplement d'ordre social. Par exemple dans une société, il peut y avoir la sous-culture des jeunes. Les jeunes ont un style de vie différent de celui de leurs parents. Ils préfèrent un autre style de musique que celui de la génération précédente. Une célébration destinée aux jeunes sera plus intéressante pour eux si on adopte un style de musique qui leur convient.

11. Synthèse des différents principes

McGavran a essayé de faire une synthèse des principaux facteurs qui seraient source de croissance pour les églises locales. Les voici :

1.  Des clercs ou laïcs ont commencé par consacrer leur vie à implanter des églises.
2.  Les dirigeants des églises ne se sont pas laissés envahir par des tâches administratives de maintenance ou par un travail qui ne serait ni productif en termes de développement, ni directement reliés à l'implantation des églises. Ils ont su donner la priorité à l’annonce de l’Évangile auprès des personnes qui ne connaissent pas le Christ ou qui ne font pas partie d’une communauté chrétienne.
3.  Des mois de prières d'intercession avaient précédé l'action; prières pour que les églises se multiplient et que des hommes et des femmes soient « gagnés » au Christ.
4.  Une structure de petits groupes de maison a été mise sur pied. Celle-ci aide la communauté chrétienne à grandir et évite de construire des bâtisses coûteuses.
5.  Tous les chrétiens étaient invités à transmettre leur foi en témoignant auprès de leurs proches particulièrement leurs amis et les membres de leur famille. Chaque membre de la communauté chrétienne a choisi des individus qui lui semblaient réceptifs, « gagnables » au Christ. Ils ont prié pour eux d'une manière spéciale tout en leur parlant de la Bonne Nouvelle. Cette évangélisation est appelée en anglais befriending[6]. L'Évangile était proclamé à des personnes réceptives au message de la Bonne Nouvelle et issues du même tissu social. On a aussi fait des efforts pour jeter des ponts et créer de nouveaux liens sans se limiter au réseau des personnes les plus proches.
6.  Un effort important a été fait pour créer et multiplier des églises adaptées à la population que l'on cherche à rejoindre, c'est-à-dire le plus culturellement proches possible des personnes par la langue, la race, les habitudes de vie, etc. Les célébrations et les services offerts ont été bâtis pour rejoindre leurs besoins et correspondre à leurs aspirations.
7.  Ce sont les personnes converties issues du tissu social local qui ont été choisies comme responsables dans la communauté chrétienne.

12. Conclusion : Travailler pour implanter des églises

           Pour McGavran, le but premier de la mission chrétienne est de réconcilier l'humanité avec Dieu par le Christ. Dieu demande à son Église de faire des disciples. Obéir à ce commandement est le but suprême de l'Église. McGavran, estime donc que les chrétiens devraient avoir comme priorité de travailler pour la croissance de la communauté chrétienne locale et ne pas avoir peur de se fixer des objectifs numériques. D'après lui les efforts pour annoncer l’Évangile aux non-chrétiens seront plus efficaces s’ils sont précédés et accompagnés de prières et s’ils sont faits auprès des sociétés et des groupes qui se montrent réceptifs à l’Évangile.

La pensée de McGavran, sa conception des priorités dans la mission, son pragmatisme, l'importance qu'elle donne aux objectifs numériques, son « principe d'homogénéité », son insistance sur l'implication active des chrétiens dans la communauté chrétienne ont été la source d'une révolution majeure dans certains milieux protestants américains.




[1] Une brebis est nourrie lorsque qu’un suivi à l’évangélisation initiale (ou première) est assuré.
[2] D. McGavran , Understanding Church Growth, Revised edition by C. Peter Wagner, Grand Rapids, Wm. B. Eerdmans Publishing Co., 1980, p. 26 (notre traduction).
[3]Le terme gestion, n'est pas à confondre avec l'économie d'entreprise. Il désigne une science de l'action collective chargée de réaliser la mission d'une organisation.
[4] Ibid., p. 39 (notre traduction)
[5] Ibid., p. 223 (notre traduction).
[6] Cette approche d’évangélisation invite les chrétiens d’une communauté donnée à jeter des ponts avec les personnes qu’ils fréquentent habituellement. On les encourage à créer des liens avec des personnes non chrétiennes ou non célébrantes. À travers ces liens d’amitié et de service, des occasions se présentent pour échanger de manière naturelle sur des questions concernant la foi, l’Église et le personnage de Jésus. Cf. D. McGAVRAN , op. cit., p. 398.

Cet article se trouve dans le livre : GIFFARD, Pierre-Alain, La croissance de l’Église : outils et réflexions pour dynamiser nos paroisses, Nouan-le-Fuselier, Éditions des Béatitudes, 2012.



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